Nous traversons actuellement une période de perturbation sociale inédite, par son ampleur et par sa durée. Elle traduit, on le sait, un malaise profond de la société, qui, dans bon nombre de ses couches, exprime un  ras-le-bol général des baisses successives et ininterrompues de leur pouvoir d’achat.

Le point de départ du mouvement depuis les réseaux sociaux, est lui aussi un marqueur qui renforce le caractère inédit de cette contestation sociale XXL. En terre révolutionnaire, et fidèles à notre histoire, les gilets jaunes n’échappent pas aux bonnes pratiques et aux dégâts collatéraux qu’elles entraînent dans leur sillage. En France, une bonne révolte, cela veut dire, dresser des barricades et faire voler les pavés !

Verser le sang, verser les larmes, c’est, semble t-il,  le prix “malheureux” à payer pour se faire entendre, exister et bouger les lignes.

A travers cet article, nous allons tenter d’analyser les conséquences immédiates et à long terme du mouvement des gilets jaunes, et tenter de comprendre s’il s’agit d’un épisode de plus au livre des contestations sociales françaises, ou bien, de l’arrivée d’une lame de fond grossissante, plus violente, plus radicale et inédite dans l’histoire de la Vème république.

Pour rappel, la part du e-commerce dans la totalité du commerce de détail, à savoir 9%, est encore relativement faible. Ce qui impressionne davantage, c’est la croissance à deux chiffres enregistrée chaque année, mais aussi l’organisation et la concentration autour d’une poignée d’acteurs aux ambitions, parfois hégémoniques. Ce qui interpelle, ce sont les mutations qui s’opèrent au niveau des organisations, non sans conséquence sur les conditions de travail des nouveaux métiers apparus avec l’avènement du e-commerce. Qu’ils s’agisse par exemple des livreurs, et en encore des préparateurs de commandes. Dans le monde de la relation client, on voit même des particuliers, qui le temps d’une soirée se retrouvent à conseiller par chat un internaute hésitant. Des tâches et des missions, historiquement confiées à des professionnels, se retrouvent dans les mains de parfaits amateurs, juste un peu assistés. Ne portons pas juste un jugement hâtif, mais interrogeons-nous sur les motifs et les conséquences de cette dérive, à savoir la déprofessionnalisation au service de l’amélioration des marges. Beaucoup de nouveaux métiers, très valorisants, sont eux aussi apparus, pour le plus grand bonheur des nouvelles générations  qui profitent pleinement du contexte. Si, dans les années 90, les gros salaires étaient réservés aux collaborateurs expérimentés, la période actuelle offre aux plus jeunes des opportunités incroyables comme ce fut le cas pour Michael Sayman, embauché à prix d’or et à seulement 17 ans chez Facebook. Le e-commerce est en soi une révolution phénoménale, mais il convient de rappeler que les volumes des transactions restent encore marginaux. Par conséquent, l’impact du mouvement des gilets jaunes est à regarder par le spectre du commerce dans sa globalité.

Chaque dernier trimestre, est ponctué traditionnellement par deux phénomènes : le Black Friday et les Fêtes de Noël. Ces deux épisodes pèsent lourds dans le chiffre d’affaires annuel de certaines activités, jusqu’à 80% parfois. Les études menées par Opinionway et Perifem montrent que 56% des français vont modifier les comportements d’achats à cause des manifestations et que 43% d’entre eux vont se tourner vers le e-commerce. 29% déclarent, qu’ils vont moins se rendre dans les commerces de peur d’être confrontés à des scènes de violence, comportement adopté depuis le 17 novembre. Ce n’est donc pas une surprise.

Pour autant, faut-il en conclure, qu’il y a eu un report des achats vers le e-commerce ?

Surprise. La FEVAD indique, à travers la voie de ses adhérents,  que l’ambiance est morose, et non propice à la consommation. Même son de cloche chez le leader mondial, Amazon, qui ne relève aucune croissance exceptionnelle. Certes, le e-commerce est moins impacté, mais subit aussi les conséquences sur la logistique, largement perturbée sur l’ensemble du territoire. La presse et certains leaders de la contestation, ont donc torts de considérer que tout cela profite aux GAFA et autres acteurs majeurs du e-commerce mondial, et amplifier ainsi, le sentiment de  la double peine, qui consisterait à dire, que non seulement ils ne payent pas de taxes, mais qu’en plus, on favorise leur croissance.

Qu’on se le dise, l’ensemble du commerce de détail est impacté par une baisse notoire d’environ 17% de la consommation à la période de l’année la plus forte. De plus, on le sait, l’ensemble des dégâts auront pour effet d’augmenter les polices d’assurances et l’impôt des villes pour financer les réparations, et l’impôt national pour financer ces milliers de policiers et de CRS mobilisés depuis le 17 novembre. L’impact sera donc pour l’ensemble des français qui participent à l’effort collectif.

Le mouvement des gilets jaunes est aussi annonciateur d’une mutation plus profonde et plus sournoise, pour qui ne la voit pas arriver. Effectivement, elle traduit un malaise, celui d’une société qui doit se révolutionner, puisque la façon dont les échanges commerciaux se feront demain, sera radicalement différente de celle d’aujourd’hui. En témoignent les rapprochements entre Alibaba/Auchan/Wal-Mart/Amazon/Whole Foods qui ont eu lieu en 2017. Cela augure d’une mutation profonde de la façon dont les français feront leurs courses demain. Le paysage des villes risque de changer avec l’apparition d’entrepôts, de points de livraisons et une baisse sévère de la fréquentation des grandes surfaces alimentaires. Quel avenir pour les zones d’activités commerciales de nos villes moyennes et grandes, si nous basculons progressivement vers une consommation à distance ? Quel avenir pour nos centres villes qui pendant des décennies ont été dynamisés par leurs commerces de proximité ? Cela implique de revoir nos plans d’urbanisme de fond en comble, et de se réinventer autour de cette nouvelle donne. S’ajoute à cela l’introduction accélérée de la robotisation et de l’intelligence artificielle, qui vient, elle aussi disrupter l’organisation générale du travail, appauvrir parfois les fiches métiers, et parfois, soulager nos collaborateurs de tâches récurrentes et à faible valeur ajoutée. La vigilance est de mise, si à la contestation du pouvoir d’achat, on ne veut pas voir s’ajouter la contestation des conditions de travail qui se dégradent.

En conclusion, nous sortons d’un épisode de contestation sociale inédit, qui impacte tous les acteurs du commerce. L’ensemble des professionnels ainsi que les décideurs politiques doivent travailler à préparer l’avenir, à combler les vides juridiques dans lesquels s’engouffrent des nouveaux acteurs, au détriment souvent d’un ordre établi. Il s’agit aussi de se prémunir des conséquences d’une fiscalité trop forte et injuste, tant pour les professionnels que les particuliers, et qui au final aiguise l’appétit des plus créatifs  pour contourner le système. Le Centre des Jeunes Dirigeants, en a fait son adage depuis des décennies, il faut mettre l’économie au service de l’Homme, et pas l’inverse.