Dans un précédent article, nous évoquions l’arrivée imminente1 de la cryptomonnaie de Facebook, Libra. Tout ne s’est pas déroulé comme prévu, le développement de cette « monnaie » ayant subi de nombreux revers avant même sa mise en place. Lors de l’audition du dirigeant de Facebook devant la commission parlementaire américaine, celle-ci a été largement critiqué lors du récent témoignage2 de son dirigeant Mark Zuckerberg. Cette audience était censée expliquer comment le Libra, cryptomonnaie mise au point par Facebook et ses partenaires, fonctionnerait dans le système mondial de paiement. 

Les législateurs se sont plutôt interrogés sur les faux-pas antérieurs de Facebook tels que le partage inapproprié de données, ou encore sa politique actuelle en matière de publicité et de confidentialité des données personnelles. Deux sénateurs américains vont même plus loin, pour eux, Facebook « n’a pas fourni de plan clair sur la manière d’empêcher Libra de faciliter le financement d’activités criminelles et terroristes, déstabiliser le système financier mondial, interférer avec les politiques monétaires ou exposer les consommateurs à des risques qui n’affectent aujourd’hui que des investisseurs professionnels ».

Facebook contre-attaque

Malgré les embûches du lancement de sa crypto-monnaie, Mark Zuckerberg ne se décourage pas et compte bien se faire une place parmi les acteurs des moyens de paiement. Il vient de lancer Facebook Pay, un système de paiement mobile commun à toutes les applications du groupe : Facebook, Messenger, Instagram et Whatsapp. Pour l’instant, le système est uniquement disponible aux Etats-Unis mais son déploiement est prévu dans d’autres pays dans les prochains mois.

Faut-il s’inquiéter du crypto-yuan ?

En revanche, un problème plus important n’a pas été traité. En effet la Chine est sur le point d’achever son propre réseau de paiement via une crypto-monnaie basée sur le yuan. Pas moins de sept grands groupes auraient été désignés pour la diffuser auprès des consommateurs, dont le géant du commerce en ligne Alibaba, le poids lourd des jeux en ligne Tencent et UnionPay, le réseau de cartes bancaires et moyen de paiement le plus utilisé par les Chinois. Ces entreprises partenaires seraient chargées de l’intégrer dans leurs services. La banque centrale chinoise conserverait quant à elle le monopole de l’émission selon ses conditions. La chine cherche ainsi à recouvrer sa souveraineté monétaire, en réduisant la dépendance de son économie face au dollar, et le pays disposant d’une force de frappe de près de 1,4 milliards d’utilisateurs potentiels, le tout avec la participation des principales banques commerciales, il est fort probable que cette crypto-monnaie s’impose rapidement dans tous les secteurs de l’économie chinoise, car bon nombre de ses entreprises, qui sont aujourd’hui sur la liste noire de l’administration américaine, ont dû réduire leur capacité d’investissement et de négoce dans le monde.

Là où le Bitcoin échappait à toute autorité centrale et court-circuitait les systèmes bancaires et les politiques monétaires, l’Etat chinois, lui, contrôlera de A à Z, la blockchain de sa crypto-monnaie ; ainsi « même si les transactions sont anonymes au niveau de l’utilisateur, il sera quand même possible de retracer l’historique complet des transactions de chaque block, (…), au final les portefeuilles électroniques pourront être reliés aux identités » (Selon un rapport3 publiépar la plateforme d’échange Binance). 

Cinq ans de développement auraient été nécessaires pour développer le « crypto-yuan », développement accéléré en juin dernier après l’annonce du lancement du Libra de facebook. Le « crypto-yuan » est pensée dans un but défensif et non offensif comme le Libra. En effet, il est difficile de prévoir les conséquences d’un succès du Libra et Pékin éviterait ainsi les incertitudes en imposant la seule crypto-monnaie qu’elle est en mesure de contrôler. Selon Pékin, le « crypto-yuan »  aurait pour mission de remplacer la monnaie physique et offrir des coûts opérationnels faibles et permettant de lutter efficacement contre le blanchiment de fonds et autres usages illicites. Elle favoriserait surtout les paiements transfrontaliers grâce à sa vitesse d’exécution et ses frais modiques. Cela favorisera l’utilisation du « yuan » comme monnaie de transaction, bien sûr en Chine, mais surtout partout où les Chinois font du business, c’est à dire dans le monde entier. Ce « crypto-yuan » ne devrait avoir aucun problème à s’implanter car il contourne l’obstacle réglementaire et politique (du moins en Chine) puisqu’elle est l’émanation directe des pouvoirs publics chinois. Il est difficile d’imaginer une entreprise chinoise refuser d’accepter cette monnaie si la demande officielle leur en est faite. De plus, le Libra de Facebook a essuyé plusieurs revers ces dernières semaines, dont le retrait de précieux partenaires comme PayPal, Visa, MasterCard et Stripe, qui sous la pression de dirigeants politiques et des autorités réglementaires s’inquiètent des risques que comporte ce projet : protection de la vie privée, blanchiment d’argent et stabilité du système financier. Facebook aura aussi beaucoup de mal à restaurer la confiance auprès de ses utilisateur en matières de confidentialité. Mais faut-il faire confiance au gouvernement Chinois en terme de confidentialité des données personnelles ?  Pas si sûr.
Ce qui est certain, c’est que l’avenir de la crypto-monnaie s’écrira au pluriel.

1 sortie prévue initialement pour l’été 2019
2 le 23 octobre dernier 2019
3 https://info.binance.com/en/research/marketresearch/CBDC.html